Mariano Tomatis
Une pré-lecture du Grand Parchemin de Rennes-le-Château
Rapport présenté à l’occasion de Regards sur Rennes-le-Château le 27 juillet 2019 à Rennes-le-Château organisé par l’Association Terre de Rhedae.
Au cours de cet entretien, je parlerai d’un objet que vous connaissez bien, que vous avez vu et que vous allez revoir des milliers de fois: le grand parchemin.
Son image a été rendue accessible au grand public par Gérard De Sède dans les pages de L’Or de Rennes (1967). Deux caractéristiques le rendent intéressant à mes yeux: la quantité débordante de détails à analyser et la controverse autour de son authenticité.
Je viens de Turin, ville où un autre objet controversé et riche en détails est conservé: le Saint Suaire.
Dans les mêmes années où l’histoire de Rennes-le-Château était liée au Saint Graal, le Suaire subit le même sort.
À Rennes-le-Château, le Saint-Graal est la lignée secrète de Jésus. À Turin, le Graal est matériellement la relique qui a recueilli le sang de Christ après la crucifixion: non pas une coupe mais un linceul, le Saint Suaire en fait.
Michael Baigent, Richard Leigh, Henry Lincoln, L’Enigme sacrée, 1983 (1ère éd. The Holy Blood and The Holy Grail, 1982).
Noel Currer-Briggs, The Shroud and the Grail, 1984.
La relique de Turin et le grand parchemin sont très connus dans le monde anglo-saxon grâce à la même personne: Henry Lincoln. L’auteur anglais a découvert l’histoire de Rennes-le-Château en lisant Le trésor maudit de Gérard De Sède et dans les années soixante-dix, il a consacré trois documentaires à ce thème. Le titre du premier documentaire a été écrit le grand parchemin à l’arrière-plan.
Au cours des mêmes années, Lincoln consacra le documentaire « The Silent Witness » au Suaire de Turin; son nom avait arrière-plan un particulier du linceul.
Henry Lincoln, The Lost Treasure of Jerusalem?, 1972.
Ian Wilson, Henry Lincoln, David W. Rolfe, The Silent Witness, 1978.
Je n’entrerai pas dans le vif de la controverse sur l’authenticité des deux objets. Si je faisais cela, mon intervention deviendrait un long éloge pour les deux faussaires français qui — au prix d’une certaine pollution historique — ont si habilement réussi à nous faire rêver et discuter.
En 2015 deux millions de personnes ont participé au dernier exposition du Saint Suaire, chacune ne pouvant rester que 3 minutes devant le linceul. Comme le grand parchemin, le Suaire est une image difficile à lire: confus et plein de détails, le risque était celui de le regarder sans saisir les éléments les plus importants et les plus intéressants. Au long du parcours d’approche, une vidéo de pré-lecture permettait d’entraîner l’œil, en isolant les principaux détails de la figure. Les psychologues cognitifs parlent d’un effet d’amorçage: un stimulus est proposé pour influer sur la perception ultérieure d’un nouveau stimulus.
Cette image, par exemple, isole le visage et permet de mettre en évidence une tache de sang sur le front sous la forme d’un 3 inversé. Maintenant que je vous l’ai signalé, chaque fois que vous verrez l’image du Linceul, vous ne pourrez pas éviter de voir le numéro 3. Effet d’amorçage.
Il en va de même avec le grand parchemin de Rennes-le-Château. Plus de mille lettres confuses, derrière lesquelles des messages codés sont cachés. Il est difficile de se concentrer sur un seul élément précis: la confusion est uniforme et il n’est pas facile de faire la distinction entre des détails plus ou moins importants. Avec les images suivantes, j’essaierais d’interférer avec votre regard afin d’accroître votre puissance visuelle.
Les deux lignes les plus faciles à lire sont les dernières: elles sont extraites d’un hymne que Saunière avait transcrit sous le bas-relief de Marie-Madeleine, sur l’autel de l’église de Rennes-le-Château.
Il existe également une certaine similitude entre le symbole dans le coin inférieur droit et la croix en bois sur le bas-relief — mais cela pourrait être le fruit du hasard.
La lettre A inversée suggère de faire pivoter le symbole et le mot NOIS devient SION — une référence au prieuré de Sion, dans le contexte où le parchemin a été rédigé.
Mais passons aux plus petits détails. Pour lier le parchemin aux fonts baptismaux de l’église de Rennes-le-Château, son auteur a écrit les lettres A et O en utilisant les caractères grecs Alpha et Omega. Les deux lettres apparaissent aux pieds de Jésus et de Jean-Baptiste et elles peuvent également être lues dans le catalogue du sculpteur Giscard.
Sur le parchemin, elles apparaissent dans les deux lignes centrales, 10 et 11. Pour les localiser au vol, divisez idéalement le texte principal en deux, recherchez le seul point d’interrogation du parchemin: c’est à le ligne 10. En vous déplaçant vers la droite, vous verrez l’alpha. Dans la ligne ci-dessous, mais plus à gauche, trouvez l’oméga.
Dans le texte, il y a huit lettres encore plus petites: elles forment les deux mots « Rex Mundi », le roi du monde. C’est une référence aux Cathares, selon laquelle l’univers est basé sur l’équilibre entre une divinité du bien et une du mal, le Rex Mundi en fait. Les lettres qui forment « Rex » se trouvent dans le coin supérieur gauche, dans les quatre premières lignes. « Mundi » est dans les cinq derniers.
Le cœur du parchemin est constitué par deux textes, l’un plongé dans l’autre. Le texte le plus long est écrit en latin; il est tiré de l’Évangile de Jean, chapitre 12, et fait référence au vitrail circulaire situé derrière l’autel de l’église de Rennes-le-Château: Marie-Madeleine verse sur les pieds de Jésus un parfum de grande valeur qu’elle essuie avec ses cheveux.
L’auteur a copié l’Evangile en supprimant tous les signes de ponctuation et en ne laissant qu’un seul point d’interrogation. Il a commis des erreurs lors de la copie.
Vingt-sept lettres ont été mal écrites.
Deux mots et deux lettres ont été inversés entre eux. « Odore ungenti » est devenu « Ungenti odare », avec une erreur de copie supplémentaire.
Dix lettres ont été omises.
Le texte résultant est composé par 845 lettres qui ont été transcrites en groupes réguliers de six lettres, avec quelques erreurs: il n’y a parfois que cinq lettres, parfois sept. A gauche, j’ai mis en évidence les groupes irréguliers: en vert les plus courts, en rouge les plus longs.
Dans les espaces blancs, un deuxième texte de 140 lettres a été inséré. Au centre de la séquence, nous pouvons reconnaître deux mots en latin que j’ai écrits en bleu: « Ad Genesareth ». C’est une référence à Marie-Madeleine: la ville de Magdala se dresse ad Genesareth, près du lac de Genesareth.
Dans l’ensemble, le parchemin est la somme de deux textes — l’un tiré de l’Évangile, l’autre d’un message crypté. Les mots « Ad Genesareth » divisent le message en deux parties illisibles de 64 lettres chacune. Pour les déchiffrer, il faut utiliser deux clés, les écrire sur deux échiquiers et les lire en suivant le chemin du cheval.
Je n’entrerai pas dans la longue procédure, mais l’auteur avait l’intention de cacher un message (BERGERE PAS DE TENTATION ...) lié à l’affaire de Rennes-le-Château: une phrase qu’il avait obtenue en anagrammant l’épitaphe de la tombe de Marie de Nègre d’Ables, dame du village au XVIIIe siècle.
Malheureusement, il a commis des erreurs, même en copiant le message codé. Trois lettres étaient mal écrites. Deux sont dans la troisième ligne. En commençant par le symbole en haut du document, identifiez le nom « Martha ». Le « O » qui le précède et le « H » qui le suit sont faux : les lettres correctes sont « E » et « F ». La troisième erreur est le « X » qui apparaît juste au-dessus du point d’interrogation : la lettre correcte est le « T ». Si on tente de lire le message sans apporter les trois corrections, on obtient « Bergete » au lieu de « Bergere », « Sax » au lieu de « Pax » et un « H » incongru au milieu du numéro romain 681.
Puisqu’il n’y a pas le temps d’explorer le mécanisme d’encodage et de décodage, j’ai un cadeau pour vous. Nous, les Italiens, sommes connus comme charlatans et petit escroc: de Berlusconi à Salvini, de Cagliostro à Casanova, nos tromperies sont célèbres dans le monde entier. Dejà en 1813 Étienne de Jouy se demandait « Pourquoi les personnages ont-ils choisi la France pour établir le théâtre principal de leurs jongleries? » faisant référence à « ce fameux dottor napolitano, debout sur son cabriolet découvert […] sur la place du Louvre, avec sa grande perruque à blanc, son habit écarlate à brandebourg d’or, sa veste brodée, ses baugues à tous les doigts et ses amples manchettes de Flandre » (1) .
Bien que je sois habillé de manière plus sobre, je suis aussi un Italien, je suis aussi un illusionniste et je viens de Turin, considéré la ville magique par excellence. Vous avez donc toutes les raisons de ne me prendre pas très au sérieux. Pour cette raison, je ne suis pas venu pour vous vendre quelque chose mais pour vous faire un cadeau avec lequel vous pourrez vérifier chacune de mes déclarations. Aujourd’hui, on l’appelle « fact checking » vérification des faits.
Je l’ai appelé « Aboulafia » et c’est un logiciel librement accessible sur Internet, disponible en trois langues, conçu pour créer de grands parchemins par vous-même.
Aboulafia vous permet de choisir les textes à insérer et les clés à coder: si vous laissez les textes par défaut, le résultat est le grand parchemin.
Si vous changez quelque chose, vous pouvez explorer les effets de n’importe quel changement.
Les possibilités combinatoires sont littéralement infinies.
Voici trois exemples. En ordonnant à Aboulafia de ne pas commettre d’erreur, vous obtenez ce parchemin: c’est l’aspect que le document aurait eu si l’auteur avait été plus précis.
Le nom « Aboulafia » est un hommage à l’ordinateur du roman Le Pendule de Foucault, écrit par Umberto Eco. Si au lieu de l’Évangile de Jean j’insère l’incipit du Pendule ...
... le parchemin créé ressemble à ceci. Le message caché est le classique « BERGERE PAS DE TENTATION ... »
Nous pouvons faire le contraire, garder le passage évangélique mais remplacer le message à encoder.
Il y a quelques années, Paul Saussez à anagrammé l’épitaphe de Marie De Nègre et écrit un message qui ravirait Dan Brown:
VOICI LE SECRET DE L’EPITAPHE: JESUS ET MARIE DE MAGDALA DORMAIENT EN PAIX AU TOMBEAU DE RENNES QUE BERENGER VIOLA. SION LE FIT CHANGER DE PLACE. PS DDDCCCXXXX
Voici le parchemin sur lequel les lettres « PS » ne signifient pas « Prieuré de Sion » mais « Paul Saussez ».
Vous dites qu’Aboulafia ressemble-t-il à un jeu vidéo? Je suis d’accord. Un avertissement est donc utile.
À propos de quelques auteurs sur Rennes-le-Château, Umberto Eco a écrit que « leur mauvaise foi est si évidente que le lecteur vacciné peut s’amuser comme s’il jouait un jeu de rôle » (2) . Alors, vérifiez votre certificat de vaccination et, si tout va bien, amusez-vous!
Aperçus
• Voir l’intervention incluant les 36 diapositives.
• Joue avec Abulafia (disponible en français, anglais et italien).
• Cliquez ici pour lire cet article en traduction italienne.
• Cliquez ici pour voir le documentaire (en anglais) écrit par Henry Lincoln, The Lost Treasure of Jerusalem? (BBC 1971).
• Cliquez ici pour voir le documentaire (en anglais) écrit par Henry Lincoln, The Silent Witness (BBC 1978).
• Cliquez ici pour voir le vidéo de pré-lecture du Saint Suaire (2015)
Traduction faite par l’auteur avec les conseils de Benedetta Pierfederici.
Note
1. Victor-Joseph Etienne de Jouy, « Le somnambulisme et l’abbé Faria », Observations sur les moeurs et les usages parisiens au commencement du XIXe siècle, T. 4, Pillet, Paris 28 août 1813, pp. 140-51.
2. Umberto Eco, “La bustina di Minerva”, in L’Espresso, 23 agosto 2001, p. 166 (notre traduction).